Valorisation de la profession enseignante, une occasion manquée
4 octobre 2019
Monsieur Roberge, vous avez déposé cette semaine un projet de loi colossal revoyant la gouvernance des commissions scolaires. Par ce même projet de loi, vous semblez vouloir faire un premier pas pour reconnaître l’expertise des enseignantes et enseignants. Cependant, vous faites plutôt le contraire en vous accordant le droit d’imposer par voie réglementaire des obligations de formation, des moyens d’évaluation et de supervision de cette formation, ainsi que des sanctions pour celles et ceux qui ne s’y conformeraient pas. Qui plus est, vous diminuez significativement leur place et leur influence au conseil d’établissement. Leur opinion comptera moins qu’avant, bien qu’ils soient aux premières loges de la réussite des élèves. Monsieur Roberge, quand on valorise les enseignantes et enseignants, on travaille à les soutenir, pas à les sanctionner, ni à les contrôler, ni à diminuer leur influence dans les écoles.
Quels étaient vos objectifs? Faire plaisir aux agitateurs extérieurs qui parlent très fort ou travailler avec nous pour comprendre notre réalité et l’améliorer? Parce que valoriser la profession enseignante, c’est surtout ça : travailler avec le corps enseignant, le consulter, l’écouter et le laisser proposer des solutions.
Plutôt que de laisser entendre à la population que les enseignantes et enseignants ne font pas de formation continue, nous aurions aimé vous entendre lui expliquer que la loi actuelle prévoit déjà que le personnel enseignant doit maintenir un haut degré de compétences professionnelles. Cette obligation prévue dans le projet de loi, plutôt que de valoriser la profession enseignante, attaque l’expertise et l’autonomie des enseignantes et enseignants. Avant de l’intégrer à votre projet de loi, avez-vous vérifié sur le terrain ce qui se passe réellement dans les écoles et quels étaient les besoins des enseignantes et enseignants en la matière? Ces derniers souhaitent avoir un meilleur accès aux activités de formation continue, mais des conditions doivent être réunies pour que cela devienne possible : dégager du temps, car la tâche est déjà trop pleine, avoir un financement suffisant ainsi que développer une offre de formation pertinente pour répondre à leurs besoins et à ceux de leurs élèves.
Les enseignantes et enseignants sont des amoureux de l’école, pour leurs élèves et pour eux-mêmes. Ils se forment tous, ou presque, par différents moyens, mais les conditions qui leur sont offertes pour le faire sont pitoyables et rendent difficile leur formation continue. En effet, une étude réalisée par la FSE-CSQ a permis d’identifier les principaux obstacles à la formation continue qui sont le manque de temps (85 %), la surcharge de travail (85 %) et la non-pertinence des formations offertes (81 %).
Les enseignantes et enseignants doivent avoir la pleine maîtrise de leurs choix. Il est hors de question de se faire assigner des formations qui ne conviennent pas, soit parce qu’ils l’ont déjà reçue ou qu’elle n’est pas pertinente, soit pour imposer des approches ou des méthodes au goût du jour, ou encore pour compenser une absence de services.
Les consœurs et confrères enseignants que je représente avaient de très grandes attentes à votre égard lorsque vous avez été nommé ministre de l’Éducation. Ils se réjouissaient qu’enfin le ministère de l’Éducation serait dirigé par quelqu’un qui comprend leur réalité et qui devait donc assurément partager le besoin de redonner à leur profession toutes ses lettres de noblesse. Comme on sait, la dévalorisation de la profession enseignante a été causée notamment par une succession de ministres qui, sur fond de compressions massives, ont pris des décisions à courte vue qui faisaient complètement fi de leurs besoins, de leur réalité et de leur expertise.
Malheureusement, la première année de mandat de votre gouvernement n’a pas vraiment changé la donne sur ce plan.
Vous le dites vous-même, « ce qu’on a annoncé en campagne, on le fait dans le premier mandat ». Le personnel enseignant et moi-même pouvons comprendre que vous ayez des lignes de parti politique à respecter. Nous comprenons votre volonté de respecter vos promesses électorales, même celles qui se réalisent à grands frais et qui nous apparaissent portées par un entêtement injustifié. Cependant, nous souhaitons ardemment que vous démontriez de la sensibilité, de l’écoute et de l’ouverture à vos réseaux, à vos enseignantes et enseignants, notamment à l’égard des besoins urgents d’aide et de reconnaissance.
Avant de changer des lois et des règlements, un gouvernement qui veut réellement améliorer la situation devrait s’assurer d’avoir au cœur de ses priorités de s’associer à ses partenaires, de réfléchir avec eux, d’établir les priorités d’action avec les principaux concernés, c’est-à-dire les femmes et les hommes qui vivent les problèmes et les difficultés au quotidien. Au contraire, votre gouvernement semble préférer avancer tête baissée, peu importe les dommages collatéraux sur le quotidien des enseignantes et enseignants.
Envisagez-vous de prendre notre défense pour améliorer notre quotidien dans nos salles de classe? Nous défendre en remettant à leur place ces personnes qui désinforment ou parlent à travers leur chapeau, comme des blogueurs qui nuisent à l’image de notre profession et qui tentent de nourrir des préjugés à son égard?
Nous rêvons tous de pouvoir vous féliciter d’avoir tenu votre promesse la plus importante, celle de valoriser la profession enseignante. La valorisation souhaitée par les enseignantes et enseignants se concrétise beaucoup dans les petits gestes, la consultation, l’écoute, le respect et la défense.
Malgré les occasions manquées dans la dernière année, je continue d’espérer qu’un jour j’aurai la chance de pouvoir vous remercier pour votre travail concret de valorisation. En attendant ce moment, le samedi 5 octobre est la Journée mondiale des enseignantes et des enseignants; j’en profite donc pour souligner leur travail extraordinaire et leur dire MERCI. Merci de porter bien haut la flamme enseignante jour après jour, malgré tous les vents soufflés dans le réseau.
Josée Scalabrini, présidente de la FSE-CSQ