Une situation tristement prévisible

7 octobre 2021

Nous avons toutes et tous été touchés par le cas de la petite Anaïs, élève fréquentant la maternelle 4 ans, qui n’a pas pu obtenir à l’école les services dont elle avait besoin. Ses parents ont dû se tourner vers le privé pour les obtenir, alors que le gouvernement avait justement fait la promotion de la maternelle 4 ans en s’appuyant sur le dépistage et la prévention qui s’y feraient. Si l’évolution de la situation était écrite dans le ciel, celle-ci soulève quand même, avec raison, la colère du personnel du réseau public, des parents et de la population. Le Ministère aurait dû voir venir la pénurie causée par les mauvaises conditions de travail et les coupes dans le réseau au fil des ans. Il aurait dû écouter les enseignantes et enseignants, dont il dit aujourd’hui vouloir reconnaître l’expertise.
Malgré nos mises en garde, la maternelle 4 ans en milieu défavorisé a été étendue « mur à mur », comme réponse du gouvernement à plusieurs maux du système, en raison d’un suivi précoce des besoins des élèves. En effet, nous l’avons dit et redit, l’état alarmant de la pénurie de personnel dans le réseau scolaire en freine la concrétisation et il force à revoir la répartition des ressources disponibles dans un réseau passablement mis à mal par les compressions. Malheureusement, les délais d’attente et le chemin de croix de trop de parents et d’enfants pour obtenir les services nécessaires ne sont pas nouveaux, et ce, à tous les niveaux scolaires.
Pendant de nombreuses années, le réseau a subi d’importantes compressions budgétaires, accentuant ainsi les besoins déjà criants des élèves. Nous avons dénoncé haut et fort les effets dévastateurs de ces compressions sur les conditions de travail menant à la surcharge et au sentiment d’impuissance du personnel n’étant plus en mesure de donner les services essentiels et nécessaires à l’apprentissage des élèves.
Le gouvernement a plutôt demandé au réseau scolaire d’en faire encore plus avec moins. Tout en décriant la situation et en proposant des solutions novatrices, nous avons toutes et tous assisté, impuissants, à l’augmentation du nombre d’élèves en difficulté sans ressources et à la désertion du personnel vers des milieux plus valorisants pour lui. Conséquemment, et sans grande surprise, le secteur public semble incapable de répondre aux nombreux besoins et le secteur privé s’en trouve favorisé.  C’est toute l’organisation des services complémentaires qui pourrait écoper. Ce que nous avons vu s’établir sournoisement comme système, du côté de la santé pour contourner les conditions de travail difficiles, nous rattrape en éducation. Je le répète, c’est la conséquence de trop d’années d’aveuglement volontaire des gouvernements et de désinvestissement dans le réseau scolaire. À force de toujours mettre plus de pression sur le dos du personnel scolaire sans y ajouter les ressources, le réseau ne peut plus répondre aux besoins et se fissure. C’est ce qui nous est révélé au grand jour. Il y a urgence de revoir les conditions de travail du personnel pour attirer et garder nos ressources dans nos écoles. Gardons les services publics dans le réseau public!
La solution en apparence simple de faire disparaître les codes de difficulté pour qu’un service soit rendu à un élève ne relève pas de la solution miracle. En éducation, comme en santé, lorsque l’on est face à des difficultés ou des problèmes complexes, un diagnostic est nécessaire pour recevoir les bons services ou le bon traitement. Il est très difficile d’aider adéquatement un élève pour des difficultés que nous n’avons pas préalablement identifiées. Si on adhère pleinement à l’idée qu’un service doit rapidement être donné à un élève dès qu’un enseignant en signale le besoin, on ne peut cautionner l’idée de faire disparaître unilatéralement l’évaluation nécessaire pour déterminer les besoins et capacités des élèves handicapés et en difficulté d’adaptation et d’apprentissage prévue à la Loi sur l’instruction publique. On doit certainement simplifier et alléger le processus, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. À terme, il faut poser le bon diagnostic sur le processus actuel de reconnaissance et de financement des élèves HDAA, connaître le nombre d’élèves en difficulté dans le réseau, savoir où vont les ressources et à quoi elles sont consacrées. C’est un principe duquel le réseau ne doit pas se soustraire.
N’en déplaise à certains commentateurs, qui dépeignent les syndicats comme de perpétuels chiâleux, s’ils avaient véritablement écouté nos propos, ils nous percevraient plutôt comme des lanceurs d’alerte.  Ils auraient aussi entendu nos solutions, nos idées, et verraient le travail colossal qui se fait pour valoriser le travail du personnel enseignant et de notre réseau scolaire.  Pour le plus grand bénéfice des élèves québécois, il est urgent qu’on se donne une vision globale de l’éducation et qu’on écoute enfin les solutions des premières personnes concernées, celles qui font l’école tous les jours. Si nous n’avions pas aussi été les gardiens du système, en dénonçant les injustices et les abus qui perdurent depuis autant d’années, je n’ose pas imaginer dans quel état serait actuellement le réseau scolaire public!

Josée Scalabrini, présidente de la FSE-CSQ