Se tromper de cible

29 mars 2021

C’est difficile une pandémie. Ce maudit virus se propage rapidement et frappe sévèrement plusieurs d’entre nous, souvent les plus vulnérables, parfois de manière sournoise et inexpliquée, parfois de manière évitable avec de la prévention. C’est un enjeu mondial de santé publique qui a chamboulé toutes nos habitudes et nos façons de faire et de voir les choses. Au Québec, le bilan des décès dépasse les 10 000 morts, les hôpitaux sont surchargés, le personnel est épuisé et au bout du rouleau.
C’est exigeant une pandémie. Ça demande beaucoup de résilience, beaucoup d’ajustements, de réajustements. Avec tout le personnel de la santé et de la petite enfance, les enseignantes et enseignants ont été au cœur de ces changements incessants. Ils ont subi régulièrement des directives fluctuantes, parfois contradictoires, souvent incohérentes, sans avoir leur mot à dire. Ils ont rassuré les enfants et les familles, et passé par-dessus leurs propres doutes. Ils ont assuré la sécurité de toutes et tous dans la mesure de leurs moyens et mis les bouchées doubles pour assurer un enseignement à la fois en présentiel et à distance, ou se sont préparés pour le faire, avec tout ce que cela implique comme préparation. Ils ont constaté les lacunes dans la ventilation (oh! ils le savaient déjà!), l’insuffisance des services (oh! ils en subissaient déjà les effets depuis des années!), ils ont parfait leurs connaissances des technologies (« ton micro est fermé! »). Ils ont tout donné dans des conditions très difficiles, trop souvent sans appui, et ils sont épuisés.
Aujourd’hui, des enseignantes et enseignants subissent des pressions importantes et inacceptables de la part de certains parents en colère contre les décisions du gouvernement, notamment celle d’imposer le port du masque de procédure aux enfants du primaire en zone rouge. Oui, on sait, il y a des ratés, il y en a depuis le début, comme avec ces masques potentiellement toxiques distribué dans les établissements. Mais on se bat sans cesse pour que la sécurité de tous soit assurée avec du matériel sécuritaire. Et c’est le résultat de tout ce travail collectif qui a permis aux écoles de rouvrir et contribué à les garder ouvertes. Ce masque est donc une mesure importante de protection parmi d’autres à l’heure où les variants débarquent dans nos écoles et que les élèves de 3e, 4e et 5e secondaire en zone rouge recommencent aussi à temps plein dans nos établissements de façon précipitée sans explication et cohérence avec la situation pandémique actuelle. Plusieurs se font interpeller et confronter, de vive voix ou sur les médias sociaux. D’autres, moins chanceux, se font littéralement braver en personne par des militants convaincus des méfaits du masque sur les plus petits.
« Des sans-génie, pis ça enseigne aux enfants du monde de même »… Le lot d’insultes entendues dans les écoles ou lues dans certains cercles sur les médias sociaux est non seulement choquant, mais totalement injustifié et complètement inacceptable. En plus d’y voir des commentaires inappropriés de certains sur le jugement des profs, on y apprend que, selon eux, ils manqueraient à leur responsabilité de veiller au bien-être des enfants, voire qu’ils les tortureraient. Et les enfants, eux, répètent en classe ces mêmes propos.
Il n’est pas normal que les profs se retrouvent dans des situations où ils doivent gérer ces commentaires inappropriés et violents. Que des gens soient fâchés, on le conçoit. Mais ils se trompent de cible. Si on doit être en colère, ce doit être contre le virus lui-même et non contre ceux qui appliquent les directives, émises par la Santé publique, pour assurer à la fois leur protection et celle des autres. On s’inquiète beaucoup, avec raison, de la santé mentale et psychologique des élèves, mais sommes-nous conscients des dommages occasionnés chez le personnel de l’éducation?
Qu’il s’agisse de la direction ou du centre de services scolaire, il appartient à l’employeur d’expliquer les mesures et les décisions aux récalcitrants, et surtout de les faire respecter, car il leur appartient légalement d’assurer la santé et la sécurité de leur personnel, tout comme celle des élèves.
Et vivement des messages cohérents, clairs et forts de la Santé publique en faveur d’une meilleure protection du personnel enseignant et pour le mettre à l’abri de toute la pression hors norme qu’il gère déjà en faisant les nombreuses contorsions demandées. Le gouvernement ne peut pas d’un côté dire que les enseignantes et enseignants sont essentiels et ne pas trouver essentiel de les soutenir et de les protéger. C’est d’abord et avant tout sa responsabilité.

Josée Scalabrini, présidente