L’intégration des élèves en difficulté en classe ordinaire

13 juin 2007

Des limites quil faut reconnaître, pour les baliser

Montréal, le 13 juin 2007. — Les lois, les chartes et les politiques privilégient l’intégration des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (EHDAA) dans la classe ordinaire, dont la capacité d’accueil n’est pas illimitée. Il y a un seuil au-delà duquel elle devient « dysfonctionnelle », où elle dessert aussi bien les intérêts des élèves en difficulté que des autres. Il est important de reconnaître que ce seuil existe, de le situer, pour éviter de le franchir. De la même façon, il faut prévoir des voies alternatives réalistes, quand l’intégration n’est plus la solution.

C’est l’essentiel du message que livrent aujourd’hui la présidente Johanne Fortier, de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) et la présidente Maureen Morris, de l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec (APEQ), sur la foi de quelque 300 questionnaires complétés au cours des dernières semaines par des enseignantes et enseignants du primaire et du secondaire. Les trois quarts des répondants sont d’avis que cette intégration, dans le contexte de leur classe, constitue une contrainte excessive. Les porte-parole syndicales ont dévoilé tout un éventail de situation où l’intégration n’atteint plus ses objectifs louables de socialiser et d’instruire les EHDAA et où elle constitue une contrainte excessive pour le reste du groupe, sans servir au mieux les intérêts de l’élève en difficulté. Par ailleurs, seulement 15 % des répondants ont indiqué que leur groupe, à leur avis, ne représentait pas une classe typique de leur milieu, mais plutôt une situation d’exception.  

Deux classes « ordinaires » ?

En annexe à ce communiqué figurent une dizaine de portraits de classes ordinaires réelles. Seuls les deux derniers constituent des cas exceptionnels. Ils sont disponibles sur le site de la FSE (fse.qc.net). Voici un aperçu des cas 6 et 8, qui paraissent représentatifs de la situation au primaire et au secondaire.

Dans le premier cas (no 6 de l’annexe), il s’agit d’une classe de 4e année de 30 élèves, en milieu socioéconomique moyen. On peut répartir les élèves comme suit : 6 forts, 15 moyens, 8 élèves à risque dont 4 ayant des difficultés de comportement, sans être formellement identifiés comme tels. On y a de plus intégré un élève ayant des troubles de comportement graves. La composition du groupe amène l’enseignant à faire beaucoup de discipline, au détriment de l’enseignement individualisé dont les élèves ont besoin, ce qui entraîne beaucoup de frustration pour le professeur et des effets sur son travail, sa santé physique et psychologique.

Parmi les services mis à la disposition des élèves, il y a ceux d’un technicien en éducation spécialisée, disponible 14 heures par mois pour toute l’école, ce qui est nettement insuffisant. Un orthopédagogue est aussi disponible 11 heures par semaine.

L’enseignant a pu voir toute la matière en mathématique, mais sans approfondir les notions. Les élèves les plus forts s’en tireront bien, mais pas les autres qui accumuleront du retard, parce qu’on aura manqué de temps pour leur fournir des explications supplémentaires. En français, toutes les notions n’ont pu être vues et ne pourront l’être d’ici la fin de l’année.

Le deuxième cas (no 8 de l’annexe) présente une classe de 2e année du secondaire en milieu socioéconomique moyen. En mai 2007, il reste 25 élèves, entre 14 et 18 ans, car 7 ont quitté l’école. Parmi eux on retrouve 2 forts, 5 moyens et 18 à risque, tant du côté de l’apprentissage que du comportement. L’enseignant est découragé, seuls trois élèves semblent motivés. Ils présentent des retards sérieux, certains sont du niveau de la 5e année du primaire, ils ont 16 ans en moyenne (ils devraient en avoir 13). Ils ont beaucoup de problèmes, et peu d’aide : un technicien spécialisé, à 32 heures par semaine, qui agit pour tout le cycle.

Des problématiques différentes

Ces deux cas, comme les autres, présentent des traits communs : on retrouve dans ces groupes des élèves avec des problèmes de comportement qui imposent à l’enseignante ou l’enseignant de faire de la discipline, pour maintenir un climat propice au travail. Le même groupe comprend aussi souvent des élèves en difficulté d’apprentissage, qui eux ont besoin de plus de calme et de plus d’attention, d’une aide plus individualisée. Le nombre d’élèves, qui pourrait convenir avec une vraie classe ordinaire, est trop élevé dès qu’on y retrouve quelques élèves avec des troubles de comportement, en plus de ceux qui affichent des difficultés d’apprentissage. Ces deux dynamiques sont difficilement conciliables. Il faut en outre se rappeler qu’il s’agit officiellement d’une classe ordinaire, qui peut compter jusqu’à 32 élèves. 

Des enseignants ordinaires, pas des spécialistes

Il faut aussi remarquer que les enseignantes et enseignants, malgré une formation spécifique de quatre ans, ne reçoivent que quelques cours sur la façon de traiter avec les élèves en difficulté. Une classe qui compte plus de la moitié de ses éléments à risque devrait être confiée à un enseignant qui a complété une spécialisation en adaptation scolaire (quatre années). Or, la tendance est plutôt à l’inverse. En 2002-2003, au secondaire, la proportion des EHDAA intégrés en classe ordinaire était de 37,8 %. En 2005-2006, elle avait grimpé à 46 %. Penser qu’avec un ou deux cours de plus l’enseignant « ordinaire » va pouvoir traiter avec des classes aussi lourdes relève de la pensée magique. L’enseignant en souffre, mais surtout ses élèves. Aussi compétent soit-il, l’enseignant ou l’enseignante ne peut assumer les services d’un orthopédagogue, d’un psychoéducateur, d’un technicien en éducation spécialisée ou d’un orthophoniste.

Un parti pris aveugle

On doit également s’étonner que la Politique d’adaptation scolaire soit absolument muette sur le rôle qu’on attend des enseignantes et enseignants spécialisés en adaptation scolaire. Cette absence témoigne qu’on considère l’intégration non seulement comme la solution à privilégier, mais presque comme la seule solution, en exigeant que l’enseignant régulier soit pratiquement le seul à maîtriser ces situations complexes en diversifiant son enseignement pour l’adapter à toutes les catégories d’élèves.

La Loi sur l’instruction publique, prévoit, à l’article 235, que l’intégration harmonieuse en classe ordinaire d’un élève en difficulté doit être de nature à « faciliter ses apprentissages et son insertion sociale ». Pour Johanne Fortier, de la FSE, privilégier l’intégration ne veut pas dire exclure toute autre solution. « Le texte des Chartes n’est pas absolu et la Loi sur l’instruction publique réfère à une évaluation des capacités et des besoins de l’élève handicapé qui n’est pas toujours faite, ou communiquée aux professeurs. Par ailleurs, l’intégration de l’ensemble des EHDAA ne doit pas non plus constituer une contrainte excessive ou porter atteinte de façon importante aux droits des autres élèves. Le portrait que nous avons de la situation révèle qu’on intègre trop, sans respecter les limites que le législateur a imposé à ce principe », constate Mme Fortier.

Maureen Morris, présidente de l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec, ajoute que la classe ordinaire, plus nombreuse que la classe spéciale, par exemple, n’offre pas toujours tout le suivi nécessaire à l’élève en difficulté qui a besoin d’un encadrement plus serré. « Quelquefois, c’est la nature complexe d’un cas qui devrait constituer un frein à l’intégration, ailleurs, c’est le grand nombre de cas, moins lourds, qui teste les limites d’accueil de la classe ordinaire. Dans tous les cas, le grand nombre d’élèves par classe pose problème. »

Des avenues prometteuses, parmi d’autres

Les deux fédérations syndicales, la FSE et l’APEQ, annoncent qu’elles poursuivent l’analyse rigoureuse de la situation et amorcent une réflexion sur la nature des balises qui devraient être mises en place pour encadrer au mieux le processus d’intégration et faire cesser les situations abusives constatées. Elles souhaitent que les autres acteurs du système scolaire, y compris le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, comme les organismes de défense des droits et les parents, s’associent à cette réflexion. Parmi les pistes qui paraissent prometteuses, citons la limitation du nombre d’élèves intégrés par classe, en fonction de la nature des handicaps ou des difficultés, une diminution de la taille des groupes, le maintien des classes spéciales ou des parcours particuliers, qui ne devraient pas être des voies d’évitement, mais des lieux où les élèves en plus grande difficulté pourraient recevoir tous les services et toute l’attention que leur condition requiert.

L’ensemble des documents en soutien à cette prise de position peut être consulté sur le site de la FSE (fse.qc.net).

 

Profils de la FSE et de l’APEQ

La Fédération des syndicats de l’enseignement est affiliée à la Centrale des syndicats du Québec. Elle est formée de la plupart des syndicats d’enseignantes et d’enseignants de commissions scolaires du Québec. Elle compte près de 60 000 membres. Elle négocie en cartel avec l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec, qui représente les enseignantes et enseignants des commissions scolaires anglophones. L’APEQ compte près de 8 000 membres.

 

Renseignements

 

Jean Laporte, FSE

Tél. cell. : 418 563-7193

 

Alan Lombard, APEQ

Tél. cell. : 514 894-9585