L’évaluation des élèves ciblée par les syndicats enseignants

2 mai 2007

Réformer la réforme, ça presse !

Québec, le 2 mai 2007. — « Si la réforme scolaire doit vivre et continuer à se développer, des correctifs majeurs sont encore à y apporter, en particulier sur l’évaluation. Tous les partis et toutes les parties doivent s’y employer. » C’est le cri du cœur que lancent les principales associations enseignantes du Québec à quelques jours de l’ouverture de la session de l’Assemblée nationale, dans une nouvelle législature marquée par un gouvernement minoritaire et la nomination de la nouvelle ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport, Mme Michelle Courchesne.

Selon les présidentes Johanne Fortier, de la Fédération des syndicats de l’enseignement (CSQ), et Maureen Morris, de l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec (APEQ), malgré les avancées du ministre Fournier en décembre dernier, « il reste des grands pans de la réforme scolaire à réformer : la question du redoublement n’est toujours pas réglée sur le terrain et les grandes difficultés pratiques liées à l’évaluation des apprentissages des élèves constituent encore des pierres d’achoppement dont il faut disposer sans délai ».

La FSE et l’APEQ font aujourd’hui paraître dans tous les quotidiens québécois une publicité qui rappelle que « Réformer la réforme, ça presse ! ». En phrases lapidaires, le message publicitaire précise que « Évaluer pour évaluer, c’est assez ! », que les enseignantes et enseignants ne veulent pas d’un bulletin bidon qui leur est imposé à leur corps défendant. On réaffirme aussi qu’on est d’accord avec une vraie réussite, qui n’a de valeur que dans la possibilité réelle d’échec avec une reprise et les mesures d’appui nécessaires.

Réformer la réforme, ça presse !

La Fédération des syndicats de l’enseignement et la Centrale des syndicats du Québec à laquelle elle est affiliée avaient réclamé au début de décembre dernier une réforme importante de la réforme scolaire et obtenu, à la veille du congé des Fêtes, certains engagements. La possibilité réelle de redoublement dès la première année du cycle, réclamée par les syndicats, reste malgré tout en suspens, puisque la Fédération des commissions scolaires dispute au ministre son pouvoir d’interpréter ainsi le régime pédagogique. Nous sommes toujours en attente d’une action concrète de la part du ministère, pour clarifier la situation. Nous sommes maintenant d’avis qu’une modification du régime pédagogique aurait le mérite d’éviter de donner prise aux interprétations abusives de la FCSQ.

Évaluer pour évaluer, c’est assez !

L’immense effort d’évaluation qu’on demande au personnel enseignant se fait au détriment de l’enseignement. Le MELS aura beau arguer qu’il n’y a pas de frontière étanche entre évaluer et enseigner, qu’on fait toujours à la fois un peu de l’un et de l’autre, mais quand on demande à chaque enseignante ou enseignant d’être en mode d’évaluation quasi permanent, c’est le temps d’enseignement qui en souffre.

Par exemple, au primaire, un spécialiste qui enseigne la musique ou les arts plastiques rencontre les élèves de façon espacée, de 45 à 60 minutes par semaine. Il pourrait avoir à noter jusqu’à une vingtaine de groupes d’élèves. Avec une moyenne conservatrice de 25 élèves par groupe, trois compétences à évaluer, en cours d’année, on se retrouve rapidement avec environ 1 500 notations ou observations qui alimenteront la communication avec les parents, par l’intermédiaire du bulletin. Et si on fait le processus deux fois en cours d’année, ce qui apparaît souhaitable, il faut multiplier d’autant ce résultat.

Au secondaire, pour les matières principales, comme le français et la mathématique, le nombre de groupes sera moindre (plutôt quatre groupes par professeur, avec 32 élèves en moyenne), mais le suivi, compte tenu de l’importance accordée à ces matières par la réforme, devra être plus serré et les notations soutenant l’évaluation plus nombreuses, avec un résultat semblable à l’effort demandé aux spécialistes.

Pour le bilan de fin de cycle, il faut compter jusqu’à 18 compétences à évaluer, pour le seul titulaire, et chaque compétence requiert plusieurs mises en situation et de nombreuses observations pour chaque élève.

Tout en reconnaissant que l’enseignement doit viser le développement global de l’élève, nous contestons l’évaluation des neuf compétences transversales, qui alourdit de façon très marquée la tâche des enseignantes et enseignants, sans avoir, le concède le MELS, d’effet sur le cheminement de l’élève. C’est aussi un exercice hautement subjectif. Dans les dernières semaines, nos membres ont été plus de 12 000 à signer une pétition en ce sens. À titre d’exemple, nous trouvons inapproprié de tenter de mesurer dès les premières années du primaire la capacité d’un élève à « structurer son identité, à mettre en œuvre sa pensée créatrice ou à exercer son jugement critique. »

Un bulletin bidon, pas question !

Quand des enseignantes et enseignants osent remettre en question ces nouvelles pratiques d’évaluation, qui leur imposent de porter des jugements sur la base d’informations incomplètes, par exemple, parce que le temps alloué à certaines matières est trop court, ou que les affirmations qu’on leur demande de porter sont trop générales, ou simplement invérifiables, les gestionnaires persistent et signent et obligent des professionnels à poser un geste qu’ils estiment mal fondé et contestable, et qui n’est pas non plus très parlant pour les parents.

Le libellé des compétences disciplinaires comporte aussi ses embûches. En géographie, par exemple, on peut comprendre qu’un parent demande des comptes et des explications avec une certaine exaspération, si un enseignant a indiqué que « la compétence de l’élève est en deçà des exigences », dans une des trois compétences à évaluer qui s’intitule « Construire sa conscience citoyenne à l’échelle planétaire ». D’autres libellés apparaissent pompeux. « Prendre position de façon éclairée sur des situations comportant un enjeu moral » apparaît une « compétence » ambitieuse pour des élèves de 6 ans, à laquelle elle s’applique aussi, en enseignement moral et religieux catholique.

D’autres compétences sont aussi invérifiables. Quel professeur d’éducation physique pourra affirmer sans conteste qu’un élève a « adopté un mode de vie sain et actif », sur la base d’une rencontre hebdomadaire ? Il nous semble que les affirmations des parents auront nécessairement plus de poids !

Pour ce qui est de la forme de notation que doit arborer le bulletin des élèves, il nous semble que le MELS a intérêt à disposer rapidement de cet irritant qui a valeur de symbole. Au-delà de la question du recours à des chiffres, des lettres ou d’autres icônes, le bulletin doit être un instrument de communication limpide et précis, bien compris par les parents et utile au cheminement de l’élève. Nous avons, à des fins de cohérence et pour éviter des pertes d’énergie inutiles, proposé un seul bulletin par commission scolaire, un outil qui doit être élaboré en tenant compte de l’expertise et du point de vue du personnel enseignant. D’autres compétences pourraient facilement être regroupées. Interpréter et apprécier des œuvres en danse, en musique ou en arts plastiques sont des compétences très proches.

Il faut, de plus, nous assurer que le recours à des chiffres ou à des lettres soit réellement accessible, et non seulement une option théorique : la réforme peut s’accommoder de diverses modalités de notation, cotes ou notes, et même, si les parents y tiennent, d’une référence à une moyenne de groupe. On a tort de prétendre que les compétences ne peuvent être évaluées par des notes.

Oui à une vraie réussite !

Pour Johanne Fortier et Maureen Morris, de la FSE et de l’APEQ, l’évaluation doit redevenir un processus rigoureux, réaliste, faisable et limpide.

Les leaders syndicales insistent sur la nécessité de revenir à la promotion annuelle, plutôt que par cycle, une approche qui permet un suivi plus serré du cheminement des élèves et qui évite un bilan de fin de cycle trop ardu et trop tardif. Les deux fédérations syndicales l’ont fait depuis deux ans à l’occasion des travaux de comités sur la réforme, et elles réitèrent qu’il faut considérer le regroupement de l’évaluation de certaines compétences, pour alléger et crédibiliser le processus, et revoir la pertinence ou le libellé de certaines d’entre elles.

Par ailleurs, il y a une dérive de la réforme qui tend à gommer les échecs, à minimiser les difficultés des élèves. Pour nous, la reconnaissance de ces difficultés est seule garante que les mesures d’appoint seront requises et rendues disponibles. Le redoublement doit aussi être accessible lorsque nécessaire à chacune des années du cycle, même si on se bute à le désigner comme « une reprise en totalité des apprentissages ».

Des recommandations

Les attentes pressantes de la Fédération des syndicats de l’enseignement (CSQ) et de l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec peuvent être synthétisées de la façon suivante :

1.                  le régime pédagogique devra être modifié pour confirmer et asseoir la possibilité de redoublement dès la première année de chacun des cycles ;

2.                  la promotion sur une base annuelle doit être réintroduite, pour que les parents et les enfants puissent savoir à temps dans quelle mesure l’élève satisfait aux exigences du programme, et non simplement s’il chemine plus ou moins bien ;

3.                  les compétences devraient être révisées et corrigées et pourraient être regroupées pour leur évaluation ;

4.                  le bulletin doit être concis, précis, pouvoir faire appel à des notes ou des cotes et, éventuellement, pouvoir faire référence à la moyenne du groupe ;

5.                  les compétences transversales ne doivent pas être évaluées systématiquement, même si on doit viser le développement global de l’élève.

La nouvelle ministre de l’Éducation et tout le gouvernement, comme les partis d’opposition et les administrateurs scolaires doivent rapidement prendre la mesure des difficultés majeures de l’activité d’évaluation et s’attacher à y remédier sans délai. C’est le sort de la réforme scolaire qui nous apparaît en cause. Il restera une ultime préoccupation, celle de l’intégration des élèves en difficulté dans les classes ordinaires, un dossier qui occupe aussi les organisations syndicales qui feront état de la situation et de leur analyse d’ici la fin de l’année scolaire.

Les présidentes des fédérations syndicales, Mmes Fortier et Morris, étaient accompagnées des présidences de cinq syndicats affiliés à la FSE, disponibles pour témoigner des difficultés de l’évaluation dans les écoles sous leur juridiction. Il s’agissait de Brigitte Bilodeau, du Syndicat de l’enseignement de la Chaudière, de François Breault, du Syndicat de l’enseignement du Lanaudière, de Martine M. Cliche, du Syndicat de l’enseignement de la région de la Mitis, de Guy Savard, président du Syndicat de l’enseignement de l’Ungava et de l’Abitibi-Témiscamingue et de Denis Simard du Syndicat de l’enseignement de la région de Québec.

 

Profil de la FSE et de l’APEQ

 

La Fédération des syndicats de l’enseignement est affiliée à la Centrale des syndicats du Québec. Elle est formée de la plupart des syndicats d’enseignantes et d’enseignants de commissions scolaires du Québec. Elle compte près de 60 000 membres. Elle négocie en cartel avec l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec, qui représente les enseignantes et enseignants des commissions scolaires anglophones. L’APEQ compte près de 8 000 membres.

 

Renseignements

 

Jean Laporte, FSE

Tél. cell. : 418 563-7193

 

Alan Lombard, APEQ

Tél. cell. : 514 894-9585

 

 

Commentaires des présidences de syndicats affiliés qui participent à la conférence de presse

 

« Les enseignantes et enseignants que je représente dénoncent la lourdeur et la confusion qui entourent l’évaluation des apprentissages. On incite le personnel enseignant à noter, à partir de grilles d’observation, le cheminement de leurs élèves au regard du développement des compétences attendues. Le nombre de compétences à évaluer associé au nombre d’élèves par groupe rend la tâche colossale et laisse l’impression aux enseignantes et enseignants qu’ils ne font plus qu’évaluer. Les exigences entourant la production des bilans de fin de cycle ainsi que la difficulté d’utiliser les échelles de niveaux de compétence pour situer les enfants en difficulté ne sont que quelques exemples du cafouillage auquel nous assistons dans les milieux. Et tout cela pourquoi ? Il semble que les parents ne soient pas mieux informés pour autant… ! »

 

Brigitte Bilodeau, présidente

Syndicat de l’enseignement de la Chaudière

St-Georges Est                   Tél. : 418 228-2015

 

« L’absence du redoublement, qui revient à une promotion automatique des élèves, qu’ils aient ou non satisfait aux obligations du programme, crée rapidement des disparités dans chacun des groupes. L’enseignante ou l’enseignant doit adapter son enseignement de façon extrême. On ne peut pas dire que ce soit au bénéfice de l’ensemble des élèves du groupe. Par ailleurs, ça passe un message négatif sur les efforts que les élèves doivent déployer pour atteindre les objectifs du programme. »

 

François Breault, président

Syndicat de l’enseignement du Lanaudière

St-Charles-Borromée         Tél. : 450 753-4226

 

« Même si nous intervenons souvent avec un certain succès pour faire corriger les dérives de la réforme, à coups de travaux rigoureux en comité, de dénonciations publiques, d’appels à un retour au bon sens, la décentralisation des pouvoirs vers les écoles entraîne que ces batailles doivent souvent se transposer systématiquement dans chacun des milieux, grugeant un temps précieux qui serait mieux utilisé à outiller convenablement les enseignantes et enseignants aux prises avec une réforme dont les experts reconnaissent qu’elle est difficile à implanter. »

 

Martine M. Cliche, présidente

Syndicat de l’enseignement de la région de la Mitis

Mont-Joli                               Tél. : 418 775-4335

 

« Dans le nord-ouest québécois, nous vivons à l’égard des problèmes de la réforme et  de l’évaluation des élèves les mêmes problèmes, selon ce que j’en perçois, que les autres régions. Les enseignantes et enseignants mettent des efforts considérables à évaluer les élèves, mais au bout du compte, ils se sentent exclus du processus de décision quand vient le temps de déterminer le cheminement souhaitable pour un élève donné. C’est la direction qui décide. Sur les compétences transversales, c’est la même situation. On a l’impression de travailler dans le vide, parce les résultats des élèves ont une influence minime sur la suite de leur cheminement. »

 

Guy Savard, président

Syndicat de l’enseignement de l’Ungava et de l’Abitibi-Témiscamingue

Rouyn-Noranda                   Tél. : 819 762-0929

 

Le bulletin bidon, pas question ! Le professionnalisme des enseignantes et enseignants leur commande de ne pas rédiger des bulletins et bilans factices, c’est-à-dire « bidon ». L’évaluation des apprentissages est un aspect trop important de leur travail pour qu’ils ou elles acceptent de porter un jugement sur une compétence disciplinaire qui manque de sens. Considérant que le bulletin est un outil de communication essentiel avec les parents, il doit être simple, compréhensible et significatif. Le MELS doit amender le régime pédagogique pour permettre le regroupement de certaines compétences disciplinaires et revoir la pertinence de certaines autres.

 

Denis Simard, président

Syndicat de l’enseignement de la région de Québec

Québec                                 Tél. : 418 622-8383