Lettre à M. Stephen Harper

30 septembre 2010

Montréal, le 29 septembre 2010
 
Le très honorable Stephen Harper
Premier ministre du Canada
Chambre des communes
Ottawa, Ontario K1A 0A6
 
Objet : L’abolition du formulaire détaillé de recensement
 
Monsieur le Premier Ministre,
La CSQ représente des personnes travaillant dans les réseaux québécois de l’éducation primaire, secondaire et postsecondaire, en santé et services sociaux ainsi que dans la petite enfance. C’est donc au nom de nos membres que nous vous alertons sur les effets que votre décision de supprimer le caractère obligatoire de répondre au questionnaire complet du recensement canadien aura sur l’élaboration des politiques publiques en éducation et en santé.
Des conséquences concrètes en éducation

Le caractère dorénavant volontaire de réponse au formulaire long et l’absence de données complètes provenant du formulaire court auront un effet certain sur la précision de l’indice du milieu socio-économique (IMSE) qui sert de référence pour calculer, selon la défavorisation, la taille des groupes dans les écoles.
Dans le réseau scolaire, les enseignantes et enseignants que nous représentons ont obtenu, non sans combat, que la taille des groupes soit réduite significativement dans les milieux défavorisés afin de permettre un meilleur accompagnement de ces élèves qui, selon les statistiques, risquent davantage de décrocher. La dernière entente de travail garantit même que le maximum soit de 20 élèves par classe dans les milieux identifiés comme étant les plus défavorisés par l’indice IMSE. Or, la force de frappe de cette action sera diminuée par le caractère aléatoire de l’indice. En l’absence de données reconnues pour leur précision, comment le gouvernement fédéral pourra-t-il maintenant nous garantir que nous interviendrons de manière efficace auprès des enfants les plus vulnérables de la société ?
Au Québec, nous avons développé la Stratégie d’intervention Agir autrement, programme s’adressant particulièrement aux écoles des milieux défavorisés. Ce programme sera moins efficace puisque nous ne saurons plus avec certitude si les sommes investies dans les écoles serviront à agir dans les milieux où c’est à tout le moins prioritaire de le faire. Il en sera de même pour tous les efforts du réseau scolaire et du réseau des services de garde pour instaurer des mesures préventives pour les enfants et les élèves. Elles agiront, certes, mais peut-être pas là où ce serait le plus urgent.
Dans les collèges et les universités, les chercheurs se verront privés d’une source d’informations essentielles à la recherche. Pourtant, vous connaissez bien toute l’importance de l’accessibilité de sources statistiques fiables dans tous les domaines de recherche.
Des impacts majeurs en santé et services sociaux

Le retrait de ce questionnaire de recensement aura également des impacts majeurs dans l’élaboration des programmes de santé publique et pour la planification des services de santé et des services sociaux. Actuellement, toutes les données fines nécessaires à la planification des services, tant régionaux que nationaux, proviennent du recensement du Canada.
En santé publique, le mandat même du directeur national de santé publique exige la production de données fines. En effet, ce dernier exerce une fonction de surveillance continue de l’état de santé de la population ainsi que des déterminants sociaux de la santé (conditions socioéconomiques, conditions de développement des enfants, conditions de logement, conditions environnementales, etc.). Cette surveillance doit se faire sur l’ensemble du territoire québécois par des analyses différentielles très pointues.
Bien sûr, pour être efficace et représentatif, ce type de données doit reposer sur un taux de réponse très élevé à une série exhaustive de questions. Seules ces données permettent également un facteur objectif de comparaison, un dénominateur commun. La recherche sur les déterminants sociaux de la santé exige pour sa part des données précises sur les indices de défavorisations matérielle et sociale. Les connaissances utiles sur l’évolution des tendances en lien avec la lutte contre la pauvreté y sont soumises.
Par ailleurs, les données concernant les populations autochtones proviennent exclusivement du recensement fédéral. La différenciation linguistique y est également majoritairement tributaire de même que les données sur les limitations et incapacités physiques.
Les nombreux partenariats que doivent entretenir les intervenants de santé publique avec les affaires municipales, environnementales ou autres doivent donc s’appuyer sur une source commune de données afin de pouvoir dégager des constats communs.
En santé de première ligne, la planification des services sur les territoires régionaux et locaux de santé et de services par les agences régionales et les centres de santé et de services sociaux doit aussi se faire à partir de données statistiques objectives et probantes. Il en va d’une réponse adéquate et pertinente aux besoins d’une population.
Des dérives importantes appréhendées

Ce choix politique risque d’apporter son lot de dérives. À défaut de pouvoir disposer de données statistiques fiables, il risque de s’installer un marché de la recherche statistique où chaque « client » voudra y aller d’appels d’offres de services. Non seulement ceci conduirait à un gaspillage énorme de fonds publics, mais également à une multiplication désordonnée de banques de données sans aucun dénominateur commun de comparaison. La justesse, la continuité et la coordination des programmes de services sociaux pourraient en être fortement compromises.
Cet état de fait risque également d’engendrer une très forte pression pour le croisement de fichiers distincts de données actuellement étanches : l’impôt sur le revenu, les banques des programmes de sécurité du revenu, de chômage, les banques en santé et sécurité du travail, en assurances automobiles publiques, etc. Ce sont alors les principes mêmes de confidentialité et de sécurité des renseignements personnels qui seraient mis au jeu.
Votre choix politique de retirer le questionnaire détaillé de recensement repose sur l’argument d’une intrusion trop invasive dans la vie privée. Or, c’est au contraire à une prolifération de ces tentatives d’intrusion que l’on assistera.
Changer d’idée est la meilleure option, M. Harper
Monsieur le Premier Ministre, il vous appartient maintenant de vous raviser, car il en est encore temps. Des solutions existent pour corriger le caractère coercitif lié au fait de ne pas répondre aux questions.
Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Premier Ministre, nos salutations distinguées.
 
 
Réjean Parent, président                             Louise Chabot, 1re vice-présidente
Centrale des syndicats du Québec           Centrale des syndicats du Québec
(CSQ)                                                               (CSQ)
 
Manon Bernard, présidente                        Diane Cinq-Mars, présidente
Fédération des syndicats de                      Fédération du personnel de soutien
l’enseignement (FSE-CSQ)                        scolaire (FPSS-CSQ)
 
Jean Falardeau, président                           Marie Racine, présidente
Fédération des professionnelles et           Fédération du personnel de soutien
professionnels de l’éducation du               de l’enseignement supérieur
Québec (FPPE-CSQ)                                    (FPSES-CSQ)
 
Mario Beauchemin, président                   Bernard Bérubé, président
Fédération des enseignantes et              Fédération du personnel professionnel
enseignants de cégep (FEC-CSQ)          des collèges (FPPC-CSQ)
 
Francine Lamoureux, présidente             Hélène Robin, 1re vice-présidente
Fédération du personnel de                     Fédération des syndicats de la santé
l’enseignement privé (FPEP-CSQ)         et des services sociaux (F4S-CSQ)
 
Sylvie Tonnelier, présidente
Fédération des intervenantes en petite
enfance du Québec (FIPEQ-CSQ)