Les experts sont dans les écoles
16 mai 2016
Au cours de la fin de semaine, j’ai eu l’occasion d’entendre les commentaires du chercheur Égide Royer sur la toute nouvelle réforme proposée en éducation, par le tout aussi nouveau ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx.
Je n’ai pas été surprise, malheureusement. Considérant que ses idées nourrissent essentiellement les acteurs politiques populistes, M. Royer a profité de la tribune qui lui était offerte pour vanter les mérites d’une réforme qui, encore une fois, est élaborée sans associer les principaux acteurs de l’éducation. Fidèle à son habitude, il a aussi inutilement écorché au passage le personnel enseignant et ses représentantes et représentants syndicaux.
Or, outre les opinions de M. Royer, le milieu universitaire est riche de plusieurs points de vue en éducation. Il aime la rigueur, l’analyse et les débats. À titre d’exemple, le réseau PÉRISCOPE, qui regroupe plus de 70 chercheurs issus d’universités et de collèges québécois, écrivait cette semaine au ministre Proulx pour lui faire part de ses réserves sur le « plan » annoncé. Peut-être si l’on offrait la tribune à des experts formés en éducation aurions-nous droit à des opinions moins populistes et plus nuancées.
« Intérêts corporatistes et inertie »
Sur les ondes de Radio-Canada, M. Royer a affirmé que nous verrions dans les prochaines semaines « les intérêts corporatistes et l’inertie » se manifester pour freiner le changement. Nous devinons que M. Royer parlait ici des syndicats d’enseignantes et d’enseignants, dont il a l’habitude de parler en ces mots.
L’inertie, vraiment? Si l’éducation est de retour au cœur du programme politique au Québec, c’est grâce à l’extraordinaire mobilisation de l’ensemble des travailleuses et travailleurs de l’éducation et des parents qui a eu lieu au cours des derniers mois. Ils ont su démontrer que notre système d’éducation public est abandonné et sous-financé par notre gouvernement, et que ce sont les enseignantes et enseignants, de même que leurs collègues professionnels et de soutien, qui tiennent présentement l’école à bout de bras.
Si le projet de loi no 86 a été abandonné, n’est-ce pas parce que le message syndical a été entendu? Il provenait d’une réelle analyse, appuyée d’ailleurs par la population. Depuis des mois, nous affirmons haut et fort, sur toutes les tribunes, que notre système d’éducation public n’a pas besoin d’un brassage des structures, mais plutôt d’être recentré sur les élèves et le personnel enseignant qui sont au cœur du réseau. Heureusement, c’est exactement à cette conclusion que se rend le gouvernement.
Demander d’être consultés et respectés, ce n’est pas du corporatisme. La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) n’a aucunement l’intention de s’opposer systématiquement aux changements proposés par le ministre. Elle les jugera au mérite, pas à l’image. En fait, nous sommes bien heureux de pouvoir enfin parler de réussite scolaire et de pédagogie, maintenant que nous pouvons mettre de côté la réforme des structures.
Par contre, nous continuerons de réclamer que les choses soient faites correctement. Les enseignantes et enseignants doivent être associés à la réflexion dès le début. Leur opinion et leur expertise doivent être entendues! Avant d’être informés du contenu de la réforme à venir par les médias, nous avions sincèrement l’impression que le ministre Proulx souhaitait travailler avec les enseignantes et enseignants… Comme en témoigne l’abandon du projet de loi no 86, quand on veut aller trop vite, on est souvent obligés de revenir en arrière.
Les enseignantes et enseignants ne veulent pas être de simples exécutants, mais ils souhaitent être des ressources qui, fortes de leur expérience et de leur expertise, peuvent influencer positivement les changements en éducation.
La question de l’ordre professionnel
Monsieur Royer est revenu une fois de plus sur la création d’un ordre professionnel pour le personnel enseignant. Pourquoi cet universitaire, loin de la réalité quotidienne des écoles, tient-il autant à un ordre professionnel?
Selon lui, c’est une question de formation continue et de mise à jour des compétences. Si c’est réellement ce qui préoccupe M. Royer, nous pouvons tout de suite le rassurer. Les résultats d’une vaste enquête menée récemment par la FSE auprès d’environ 3 000 enseignantes et enseignants montrent clairement que le personnel a à cœur de maintenir un haut niveau de compétence et utilise tous les moyens à sa disposition pour y arriver. L’enquête montre aussi que les motivations principales des enseignantes et enseignants sont d’améliorer leurs pratiques pédagogiques et de parfaire leurs compétences professionnelles.
En terminant, je souhaite rappeler à M. Royer que le syndicalisme enseignant a été le meilleur rempart pour assurer la qualité de notre système d’éducation public québécois au cours des 30 dernières années. Alors que les nouvelles priorités se sont succédé au même rythme que les gouvernements en éducation, ce sont les analyses et les réflexions des organisations syndicales qui ont souvent permis de mettre en lumière les dérives de réformes improvisées et de trouver les solutions pour réajuster le tir. De plus, c’est la convention collective négociée âprement par le personnel enseignant qui garantit des conditions d’apprentissage décentes aux élèves du Québec, notamment en ce qui a trait aux ratios maître-élèves et aux sommes destinées à aider les élèves en difficulté. Sans cet apport crucial, difficile de dire où en serait notre système d’éducation.
Je suis convaincue que nous avons besoin de la précieuse collaboration des chercheurs universitaires pour améliorer les choses en éducation, mais nous avons aussi besoin de l’expertise essentielle de celles et ceux qui vivent au quotidien dans nos écoles. L’éducation est un enjeu trop important pour que cette réforme annoncée soit un autre échec. C’est pour cette raison que je souhaite de tout cœur que le message soit entendu et que les enseignantes et enseignants soient au cœur de son élaboration.
Josée Scalabrini
Présidente de la FSE