La petite gêne

24 octobre 2019

En tant que présidente de la FSE-CSQ, une organisation syndicale représentant plus de 65 000 enseignantes et enseignants, on m’entend passablement souvent en entrevue dans les médias. Régulièrement, on me demande de commenter des valeurs ou des gestes des parents en lien avec des choix ou des mesures dont les conséquences se vivent quotidiennement dans les écoles. Je me garde toujours une petite gêne pour ne pas commenter des enjeux qui reviennent, selon moi, à la Fédération des comités de parents du Québec (FCPQ) de défendre publiquement.
Quand ces situations se présentent, je préfère en référer respectueusement aux débats de société, car il y a autant de parents que de valeurs individuelles. J’aime mieux miser sur le collectif que sur les choix individuels.
J’aurais aimé que la FCPQ se garde également une petite gêne en ce qui concerne, au premier chef, le personnel enseignant dans le projet de loi no 40.
On s’entend, cette loi qui devait modifier la structure des commissions scolaires et reconnaître l’expertise du personnel enseignant rate sa cible. On le sait, le gouvernement voulait depuis longtemps avoir plus de contrôle sur notre profession; il a saisi sa chance en faisant d’une pierre deux coups, avec un bel écran de fumée pour atteindre son objectif. Un programme électoral caquiste, ça passe toujours avant le respect des enseignantes et enseignants, furent-ils aussi citoyennes et citoyens à leurs heures.
J’ai pris connaissance d’une consultation sur le projet de loi no 40 menée sur le terrain par la FCPQ. Consultation? J’y vois plutôt un sondage en 116 questions, portant sur tous les aspects de la loi, y compris ceux qui concernent notre tâche, notre autonomie professionnelle et notre espace décisionnel.
Dans quel but la FCPQ collecte-t-elle autant de données sur autant de sujets qui nous concernent pourtant directement? Quelle utilisation en sera faite? Elle aurait pu éviter de poser des questions sur la tâche des profs sans fournir aucun élément de contexte, et surtout sans expliquer l’objectif poursuivi par de telles modifications. Même chose en lien avec l’autonomie professionnelle des enseignantes et enseignants, la majoration des notes, ou encore au sujet de la représentation du personnel enseignant sur le conseil d’établissement. Qu’elle sonde sur la représentation des parents, ça va de soi. Sur celle du personnel de l’éducation, ça devient difficilement justifiable.
Le sondage demande même aux parents si les comités d’engagement pour la réussite des élèves doivent faire la promotion des pratiques issues de la recherche auprès des établissements. Peut-on se surprendre alors que des enseignantes et enseignants sur le terrain y ont vu une grande intrusion dans nos pratiques pédagogiques? Est-ce que la FCPQ a compris, tout comme nous, que l’autonomie du personnel enseignant, ce n’était qu’une question d’image et de façade pour le gouvernement? Pourquoi alors ne pas avoir fait preuve de retenue?
J’aurais préféré qu’à ce sujet, la FCPQ choisisse de ne pas laisser l’impression de se positionner sur nos enjeux spécifiques. Comme partenaire de l’éducation pour la réussite des élèves et dans l’objectif de valoriser la profession, lorsque la possibilité de se soutenir ne peut être au rendez-vous, il faudrait minimalement éviter de se nuire. Est-ce qu’elle empruntera une voie plus prudente pour la suite des choses? J’ose y croire, car je reste convaincue que ce qui nous unit est plus important que ce qui nous divise.
D’ici là, j’invite les enseignantes et enseignants à prendre le temps d’échanger avec les parents, de replacer dans leur contexte les tenants et aboutissants de ce délicat dossier en utilisant leurs qualités de pédagogues pour expliquer avec diplomatie pourquoi de telles façons de faire nous irritent et en quoi ce projet de loi fait le contraire de ce qui était annoncé au départ. Loin de reconnaître notre autonomie professionnelle, il ouvre toute grande la porte à l’ingérence.

Josée Scalabrini, présidente de la FSE-CSQ