Former 10 000 préposés aux bénéficiaires cet été : un objectif irréaliste à repenser
31 mai 2020
Le 27 mai, le premier ministre Legault a annoncé qu’il lancerait une campagne visant à recruter 10 000 personnes qui recevraient, à partir de la mi-juin, une formation de trois mois leur permettant de devenir préposés aux bénéficiaires (PAB). Nous partageons l’objectif d’augmenter le nombre de personnes formées pour répondre aux besoins des CHSLD, mais le projet proposé est irréaliste en ce qui concerne le nombre de personnes formées et la durée prévue pour la formation. En modifiant le projet, il pourrait être possible de commencer la formation cet été, d’assurer des renforts d’effectifs cet automne et de prolonger dans les mois suivants la formation de PAB qualifiés et polyvalents.
Présentement au Québec, les PAB sont diplômés par les centres de formation professionnelle qui offrent le programme Assistance à la personne en établissement et à domicile (APED). Ce programme, de 870 heures, a été élaboré en 2017 avec la collaboration du ministère de la Santé et des Services sociaux pour s’assurer d’une maitrise de l’ensemble des compétences nécessaires pour pratiquer le métier de PAB. La formation est dispensée par des enseignantes et enseignants ayant une formation universitaire en pédagogie ainsi qu’une expérience significative de travail dans le domaine de la santé. Plusieurs sont d’ailleurs retournés travailler dans le réseau de la santé, mais on en retrouve encore plusieurs assignés, même après le redémarrage des centres, retardant nécessairement la diplomation et l’arrivée de forces vives dans le réseau.
Le nombre actuel d’enseignantes et d’enseignants est insuffisant pour répondre au besoin de formation de 10 000 élèves dans un délai aussi court. En condensant la formation, les élèves se retrouveront tous en stage en même temps, et le nombre de profs nécessaires ne suffira pas à la demande pour assurer un enseignement et un encadrement de qualité pour tous ces élèves. Selon nos premiers calculs, il faudrait plus de 2 000 enseignantes et enseignants pour faire ce seul travail, alors que l’on ne trouve même pas ce nombre pour l’ensemble des quatre programmes de formation en santé dans tout le réseau. Alors que l’année scolaire se termine bientôt, le projet gouvernemental vient chambouler la planification de la prochaine année de manière plus que significative en ajoutant une pression sur des enseignantes et enseignants qui risquent sérieusement l’essoufflement, au même titre que beaucoup d’intervenants de la santé.
La qualité de la formation qui sera dispensée pose également problème. Il est difficile de croire que le programme qui sera offert permettra une formation pleinement qualifiante pour le métier de PAB, alors qu’il sera amputé de plus de la moitié des heures de cours présentement obligatoires. Contrairement aux personnes diplômées ayant reçu toute leur formation, les élèves de ce programme écourté ne seront donc formés que pour un nombre limité de compétences. Quelles compétences seront mises de côté? Les approches relationnelles avec les patients présentant des problèmes d’ordre cognitif? Les soins palliatifs de fin de vie? Il est primordial d’éviter le piège des formations à rabais pour ne pas fragiliser encore plus le réseau de la santé à court, moyen et long terme.
Rémunérer les candidates et candidats pendant la durée de leur formation aura un effet positif sur le recrutement de PAB, c’est indéniable. Cependant, depuis l’annonce du 27 mai, les cohortes d’élèves inscrits à une formation régulière cet automne ont commencé à se vider, car les élèves préfèrent, évidemment, recevoir une formation courte cet été, tout en étant engagés et rémunérés.
On peut aussi se questionner sur la capacité du réseau de la santé d’accueillir massivement des stagiaires dans le contexte actuel. En effet, au moment d’écrire ces lignes, des places de stages ne sont toujours pas accessibles aux élèves dans les CISSS et les CIUSSS.
Des solutions existent
Pour la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) et la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), il demeure envisageable que le programme d’APED soit exceptionnellement offert cet été à un nombre important de personnes intéressées.
Par contre, nous sommes d’avis que la formation ne doit pas se terminer en septembre, mais plutôt se poursuivre et se compléter jusqu’à la diplomation. Les élèves pourraient alors, dans le cadre de leur stage rémunéré, pratiquer plusieurs compétences en tant qu’aspirants PAB dès le début de l’automne. Ils pourront ensuite compléter leur formation à temps plein ou à temps partiel et obtenir le statut officiel de PAB. Le Québec pourrait alors compter rapidement sur des milliers de travailleuses et travailleurs compétents et polyvalents, qui auraient été formés adéquatement par des enseignantes et enseignants qualifiés. Dans ce contexte, nous croyons qu’il serait possible d’attirer du personnel enseignant pour relever ce défi, en lui offrant notamment des conditions de travail bonifiées.
La pénurie de préposés aux bénéficiaires ne date pas d’hier. Malheureusement, les compressions budgétaires et les conditions de travail difficiles, maintes fois dénoncées par nos organisations au cours des dernières années, y sont pour beaucoup. Maintenant, il est temps de trouver des solutions, la CSQ et la FSE-CSQ sont disposées à y contribuer.
Sonia Ethier, présidente de la CSQ
Josée Scalabrini, présidente de la FSE-CSQ