Élèves en difficulté: Quand le ministre dit une chose et son contraire

24 novembre 2017

Il faut être aveugle pour ne pas voir la manne tomber du ciel libéral à l’approche des élections, après une période d’austérité où le gouvernement a notamment saigné le réseau de l’éducation d’un milliard de dollars. Ça a fait mal. Très mal. Aux élèves, aux enseignants, à tout le personnel, aux écoles. À l’approche des élections, on ajoute des poignées de millions par-ci ou par-là, pour l’ajout de services pour les élèves en difficulté, dit-on. C’est bien, mais c’est encore trop peu quand on pense à tout le dommage qui a été fait au cours des dernières années. Les besoins sont non seulement immenses, mais ils sont grandissants. Le nombre d’élèves en difficulté ne cesse de croître, et il demeure difficile à évaluer avec précision. À lui seul, l’augmentation exponentielle de l’ordre de 663 % du taux de prévalence des troubles du spectre de l’autisme, de 2000‑2001 à 2013‑2014, a de quoi inquiéter sérieusement.
Récemment, le Ministère nous a informés de son projet de règles budgétaires amendées pour simplifier et alléger le processus de financement des élèves handicapés ou ayant des troubles graves du comportement. Depuis des années, nous dénoncions l’absurdité et la lourdeur du processus administratif de validation ministérielle de tous les dossiers d’élèves handicapés aux fins de financement. Nous revendiquions son abolition, de concert avec le personnel professionnel et de soutien. En effet, de nombreux enseignants et enseignantes constataient en début d’année des problématiques plus graves chez certains élèves. Ils demandaient une évaluation et des services, mais ceux-ci leur étaient souvent systématiquement refusés parce que le financement n’avait pas été octroyé à la commission scolaire, le dossier de l’élève n’ayant pas été validé par le MEES. Et s’il finissait par être validé, le financement n’arrivait que tardivement en avril. Aussi bien dire l’année suivante. On faisait fi des diagnostics préexistants, des constats et du jugement de l’enseignant sur le terrain, ainsi que des besoins des élèves.

Le Ministère nous donne raison sur ce point et a annoncé dans un communiqué en fin de semaine dernière qu’il mettait un terme à cette étape administrative. Les dossiers devront quand même être montés puisqu’ils seront validés après‑coup sur la base d’un échantillonnage aléatoire. L’élève devra encore avoir un diagnostic et un code pour cibler la nature de ses difficultés, mais le financement devrait maintenant arriver en début d’année. Ce changement est une bonne nouvelle, nous le reconnaissons. Il accorde l’accès à des services pour certains élèves, mais encore faut-il qu’il y en ait suffisamment de disponibles. Et le problème est essentiellement là : des services, on en ajoute à la pièce après les avoir coupés en blocs. Ils sont encore nettement insuffisants.
Au détour d’une entrevue dans un quotidien, le ministre de l’Éducation a cependant encore affirmé qu’il voulait revoir toute la question du financement des élèves en difficulté, notamment l’approche dite catégorielle actuellement utilisée pour les élèves handicapés. On comprend qu’il souhaite d’un côté faciliter l’accès aux services, mais qu’il ne veut pas, de l’autre, devoir les financer à la hauteur des besoins réels. Il va de soi que pour connaître la hauteur des besoins réels, il faut les avoir préalablement définis et identifiés. Le ministre dit une chose et son contraire. Il ne doit pas s’engager sur la voie de l’approche non catégorielle qui ne répondra pas aux besoins des élèves. Ce serait une grave erreur.
Ce travail de fond de révision du financement se fait au sein d’un comité qui siège à portes closes, bien loin des enseignantes et enseignants qui réclament non seulement plus de services, mais aussi des garanties de financement, des balises pour revoir la composition de la classe, des services au préscolaire, en formation professionnelle et à l’éducation des adultes, et moins d’élèves par classe. Pour la transparence gouvernementale, on repassera.
À plusieurs reprises, que ce soit par lettres, aux différentes tables où nous siégeons ou encore dans les médias, nous avons insisté pour faire partie des échanges touchant aux changements du financement des élèves en difficulté. Devons-nous craindre une autre mauvaise surprise du type Lab-École, où les enseignantes et enseignants n’ont pas été mis au jeu alors qu’ils sont concernés au premier chef? Peut-être que le gouvernement souhaite gagner du temps avec ses annonces, mais s’il compte faire de tels changements de fond à notre insu, il nous trouvera sur sa route.
Si nous avons encore toujours autant de questions pour la suite des choses, c’est que le financement des élèves en difficulté est éminemment complexe. Voilà pourquoi ces travaux doivent absolument être transparents et ouverts. Ainsi, nous réclamons du ministre d’être non seulement consultés et écoutés, mais entendus et respectés.
Josée Scalabrini
Présidente, FSE