30 ans de la tuerie de Polytechnique

5 décembre 2019

C’est rare que je m’adresse à vous, mes élèves d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Je le fais comme un gage d’espoir pour la suite des choses, vous qui portez vos rêves avec tout l’idéalisme qui caractérise votre belle jeunesse.
En 1989, je commençais ma carrière en enseignement. Pleine de rêves et d’ambition, je voulais changer le monde et je voulais qu’il change rapidement. Je rêvais d’une société plus égalitaire, plus juste, plus pacifique et plus inclusive.
Le 6 décembre de cette année-là, j’étais loin de me douter que la vie de nombreuses femmes allait basculer de la sorte. D’abord il y a celles qui l’ont laissée, leur vie, dans l’absurdité de ce geste d’une violence inqualifiable. Nos cœurs sont restés avec elles, avec leurs familles et leurs proches. Et il y a aussi toutes celles qui étaient là, victimes et témoins de cette horreur. Puis toutes celles qui sont restées debout, marquées à jamais. Et toutes celles qui ont poursuivi leurs études dans des métiers non traditionnels et qui y travaillent aujourd’hui.
Celles qui ont ouvert la porte pour les autres, celles qui ont osé investir les lieux de pouvoir, celles qui ont épaulé, celles qui ont mangé des coups et des insultes, celles qui ont enseigné et qui ont éduqué, celles qui ont soigné, celles qui ont tendu la main, celles qui ont dérangé, celles qui ont milité pour la reconnaissance de nos droits, celles qui ont élevé des enfants à qui ces mêmes valeurs seront transmises.
Ensemble, nous avons tissé une formidable solidarité qui nous permet de changer le monde. Car c’est comme ça que nous guérissons et que nous avançons : ensemble. Et si j’ai parlé des femmes, je trouve important de souligner que c’est impossible d’y arriver seules. C’est avec nos hommes, nos pères, nos frères, nos fils et nos compagnons de luttes que nous avancerons. Ils sont essentiels à cette démarche.
Il ne faut jamais oublier ces 14 femmes au destin tragique. Elles étaient jeunes et avaient des rêves comme nous toutes et tous, comme vous aujourd’hui.
Ce monde dont je rêvais il y a 30 ans n’est pas encore en place. Mais il prend forme grâce à nous toutes et tous qui, au quotidien, l’améliorons un peu par nos actions, comme celles menées par les milliers d’enseignantes et d’enseignants qui préparent l’avenir chaque jour.
Gardons nos ambitions, notre audace et nos rêves d’une société plus équitable. C’est comme ça que nous rendrons justice à nos 14 sœurs qui sont tombées sous les balles parce qu’elles étaient des femmes. C’est en gardant ce flambeau allumé que toutes et tous ensemble, nous leur rendrons le plus bel hommage qui soit.
Josée Scalabrini