La réforme en éducation vue par les profs
5 décembre 2000
Vers l’épuisement professionnel collectif ?
Montréal, le 5 décembre 2000 – De plus en plus d’enseignantes et d’enseignants, évaluent manquer de temps, de formation adéquate et d’outils, pour réaliser la réforme de l’éducation, et se disent découragés, au bord de l’épuisement. Un pan important de cette réforme, celle des curriculum, est en cours d’implantation depuis septembre dans les commissions scolaires francophones et anglophones du Québec, au préscolaire et au premier cycle du primaire. Elle est associée à un changement d’approche important dans la façon d’enseigner.
La présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement, Johanne Fortier, et Pierre Weber, président de l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec font le même constat : leurs membres sont essoufflés, au bord de l’épuisement professionnel. Si des correctifs ne sont pas apportés rapidement, même si les objectifs de la réforme continuent de faire consensus, notamment l’égalité des chances dans l’accessibilité, mais aussi dans les possibilités de réussite, l’inadéquation des conditions d’implantation, et le flou de certains concepts risquent de compromettre toute l’opération.
Pour Johanne Fortier, de la FSE, « l’implantation de la réforme est en péril, la pression est trop grande, le travail exigé est démesuré. » Du côté anglophone, Pierre Weber ajoute : « L’épuisement largement répandu chez le personnel enseignant si tôt dans l’année scolaire est bien réel, et pas du tout sain. Les enseignantes et enseignants ne sont pas loin du découragement face à l’incohérence et aux contradictions de cette première année d’implantation. »
Un premier coup de sonde révélateur
La FSE et l’APEQ ont procédé au cours des dernières semaines à un coup de sonde auprès de leurs syndicats et de leurs membres.
Chez les francophones, la FSE a demandé à ses 44 syndicats de vérifier l’état des troupes après quelques mois d’implantation. Les faits saillants : 74,2 % des commentaires reçus évaluent spontanément le manque de temps comme étant le problème le plus important, les deux tiers disent que la formation est soit limitée, soit inexistante. Elle est trop théorique, sans lien avec le vécu en classe. Quant au contenu de la réforme, la question de l’évaluation est perçue comme la plus ambiguë et insécurisante depuis le début de l’année (58,1 %).
L’APEQ a procédé par sondage, et constaté que trois enseignants sur cinq ne se sentent pas capables d’implanter cette réforme, et 69 % disent ne pas avoir accès au matériel nécessaire. Les enseignantes et enseignants estiment, à 70 %, que leur charge de travail a considérablement augmenté, et 77 % évaluent que leur grille-horaire ne leur permet pas de se rencontrer au besoin pour mettre leurs ressources en commun. Près des deux tiers croient ne pas avoir assez de temps pour faire part aux parents des progrès de leur enfant.
Un constat partagé
La semaine dernière, la FSE rencontrait des représentants du ministère de l’Éducation, de la Fédération des commissions scolaires et des directeurs généraux de commissions scolaires, pour une première rencontre de la
« Table de suivi » mise en place pour suivre l’évolution de l’implantation de la réforme, et suggérer les correctifs éventuellement nécessaires. Autant le MEQ que les commissions scolaires et leurs directeurs généraux s’accordent sur le diagnostic posé par la partie syndicale : l’essoufflement ressenti par le personnel enseignant, la pression indue exercée sur lui, le manque de temps d’appropriation, d’expérimentation, de rétroaction et de concertation entre collègues ainsi qu’un manque de qualité et de cohésion dans la formation.
À court terme, le sous-ministre devra envoyer un message écrit à tout le réseau qui expliquera que la réforme exige du temps, qu’il faut bâtir dans la continuité, à partir des acquis du personnel enseignant. On réaffirmera que la compétence se construit à partir des indispensables connaissances. Le ministère de l’Éducation devrait aussi préciser les alternatives qu’il envisage à la question du redoublement.
Un sous-groupe de travail paritaire, comprenant des représentants de l’APEQ et de la FSE, étudiera les problèmes liés à la formation et au temps, en lien avec l’organisation des services, pour dégager des solutions qui pourront être pédagogiques, administratives et budgétaires.
Deux pistes syndicales pour agir rapidement
Pour Johanne Fortier et Pierre Weber, même si les parties s’entendent sur le diagnostic et que les bonnes intentions des autres intervenants sont perceptibles, le discours ne suffit plus. Il y a urgence d’agir pour contrer l’essoufflement du personnel, pour trouver des solutions concrètes aux problèmes quotidiens des enseignantes et enseignants. Les deux regroupements syndicaux évaluent qu’il faut rapidement dégager des enseignantes et enseignants en appui à leurs collègues dans la mise en place de la réforme, avec pour mandat l’élaboration d’outils, la planification des activités, l’animation de rencontres de travail, pour pallier au manque de temps que tous constatent pour s’approprier correctement la réforme et les changements majeurs qu’elle implique.
La deuxième piste rapide, privilégiée par les deux fédérations enseignantes, est la création de « tables de suivi », au niveau local, qui devront avoir pour objectif d’associer concrètement les enseignantes et enseignants à la mise en place de la réforme, en les impliquant notamment à la détermination de leurs besoins en formation, une participation que leur reconnaît la Loi sur l’instruction publique, mais qui trouve encore rarement application. Cette table de travail devrait aussi assurer la planification de la formation et gérer les sommes dévolues à la formation en lien avec la réforme.
Pour Johanne Fortier, de la FSE, « le défaut d’agir rapidement sur les conditions d’implantation met toute la réforme des curriculum en péril. » Pierre Weber, de l’APEQ, a conclu dans le même sens : « L’absence généralisée de conditions de base nous dirige tout droit vers l’échec. Un coup de barre s’impose d’urgence. »
Pour information :
Jean Laporte, attaché de presse de la FSE
(418) 649-8888, poste 3107
Ronald Hughes, APEQ
(514) 694-9777