N’en rajoutez pas, la cour est pleine !

15 avril 2011

Monsieur Legault,
Nous avons pris connaissance des idées soi-disant nouvelles pour la profession enseignante que la Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ) a mises de l’avant cette semaine. Sans surprise, elles traduisent une vision comptable, où tout se calcule en rendement, en performance et en résultats chiffrés, nonobstant le fait que l’école n’est pas une chaîne de montage, mais un milieu de vie où cheminent des êtres humains.
Vous dites vouloir faire de l’éducation une priorité absolue. Mais où étiez-vous, Monsieur Legault, quand nous avons fait connaître nos priorités, quand nous avons exprimé clairement nos besoins et notre vision de l’école ? Quand nous avons revendiqué haut et fort des moyens pour mieux faire notre travail ? Avez-vous pris connaissance du récent consensus dégagé en éducation pour revoir les paramètres de l’intégration des élèves en difficulté dans les classes régulières afin que celle-ci puisse être harmonieuse ? À défaut de nous avoir consultés, nous avez-vous seulement entendus ?
Vous partez de l’idée voulant que nous, les enseignantes et enseignants, soyons les seuls et uniques responsables de la réussite des élèves, faisant fi de tous les facteurs sociaux, familiaux et économiques pouvant l’influencer. En toute justice, on ne peut tenir les enseignants responsables des lacunes du système actuel à cet égard. Il suffirait, selon vous, d’augmenter notre salaire, de multiplier les évaluations du personnel et d’abolir la sécurité d’emploi pour « se doter d’un des meilleurs systèmes d’éducation au monde ». Pourtant, les exemples de succès que nous connaissons parlent plutôt de la mobilisation et de la concertation d’une école, d’une communauté entière en faveur de la réussite.
Votre proposition apparaît teintée de préjugés tenaces plutôt qu’appuyée sur des faits avérés. Vous dites vouloir mettre fin à la sécurité d’emploi. De quelle sécurité d’emploi s’agit-il ? La précarité est déjà à plus de 40 % dans les écoles, et à plus de 70 % en formation professionnelle et à l’éducation des adultes ! C’est d’ailleurs une des causes expliquant en partie le manque d’attraction de notre profession et la désertion de notre relève.
Vous affirmez également que tous les enseignants devraient notamment être évalués sur la base de la performance de leurs élèves. Avez-vous pris la pleine mesure des conséquences d’une évaluation des enseignants sur des critères à la fois antipédagogiques et arbitraires ? Saviez-vous seulement que les directions d’établissement ont déjà le pouvoir d’évaluer et de superviser les enseignants afin de soutenir ceux qui en auraient besoin ? Avez-vous envisagé d’autres options pour améliorer la réussite, par exemple une intervention systématique auprès des élèves dès l’apparition de difficultés dans leur parcours scolaire ?
Monsieur Legault, nous exerçons cette profession parce que nous l’avons choisie et parce que nous l’aimons. Ne soyez pas surpris de notre vive réaction, puisque les multiples plans et nombreuses recettes qu’on nous a servis, dans les dernières années, expriment le manque de reconnaissance porté à notre travail. Notre réaction de colère témoigne pourtant de notre engagement quotidien en faveur de la réussite de tous les élèves. Les enseignants portent ce réseau à bout de bras et tous les jours, ils instruisent, encouragent, guident, éduquent, suppléent à des manques et éveillent des élèves, dont plusieurs sont en difficulté et pour lesquels vous ne proposez malheureusement aucune solution.
Monsieur Legault, nous avons des solutions porteuses, sachez les entendre. Entretemps, n’en doutez plus, les enseignants du Québec sont très compétents et professionnels. Ils se passeraient cependant d’un énième débat à leurs dépens et préféreraient nettement qu’on leur donne les bons outils et qu’on leur laisse faire leur travail, c’est-à-dire enseigner.
Manon Bernard
Présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ)