Lettre de la présidente de la FSE à la ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport

19 janvier 2011

Madame la Ministre,
En août 2010, vous avez présenté des modifications substantielles au Régime pédagogique de l’éducation préscolaire, de l’enseignement primaire et de l’enseignement secondaire afin que toutes les écoles du Québec utilisent un bulletin uniforme contenant des notes en pourcentage pour chaque discipline et suivant des paramètres précis. Cette nouvelle façon de faire aura des conséquences importantes sur l’ensemble du processus d’évaluation des apprentissages qui sera imposé aux enseignantes et enseignants. Après une analyse plus fine des changements et suivant une recommandation unanime du Conseil fédéral de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE – CSQ) à cet effet, nous voulons par cette lettre dénoncer certains irritants que créent ces changements chez nos membres.
Malgré ce que le Ministère annonce, il nous apparaît illusoire de laisser entendre que le nouveau bulletin diminuera la complexité et la charge de travail pour les enseignantes et enseignants. Le fait de devoir inscrire un résultat à toutes les disciplines à chaque étape, ce qui n’était pas la norme jusqu’à maintenant, en est déjà un premier exemple. Pour les spécialistes du primaire et le personnel enseignant du secondaire qui rencontrent moins souvent les élèves, porter un jugement sur les apprentissages disciplinaires au début de novembre paraît difficile parce que basé sur peu de données significatives. À ce sujet, nous jugeons important que soit précisé dans le régime pédagogique qu’un résultat doit être inscrit au bulletin si les compétences qui y sont rattachées ont été suffisamment travaillées pour faire l’objet d’une évaluation.
De plus, le bilan demandé à la 3e étape de chaque année apparaît une tâche encore plus lourde que l’était le bilan de fin de cycle que nous avions dénoncé. En plus de prendre en compte toutes les compétences dans les résultats, celui-ci devra considérer les apprentissages faits dans l’année de même que les épreuves obligatoires de la commission scolaire ou du ministère de l’Éducation, du Loisir et des Sports (MELS), le cas échéant. Enfin, la section traitant des compétences transversales constitue pour les enseignantes et enseignants un surplus de tâche certain. En effet, les changements mis de l’avant font passer l’appréciation d’une compétence transversale une fois à la fin de l’année à un commentaire pour deux compétences transversales parmi les quatre inscrites au bulletin, et ce, deux fois dans l’année. Les enseignants du secondaire entrevoient déjà avec appréhension la façon dont sera partagée cette tâche dans leur école. L’accumulation de toutes ces nouvelles prescriptions laisse entrevoir un processus d’évaluation particulièrement laborieux.
Par ailleurs, tels qu’ils nous apparaissent, les nouveaux cadres d’évaluation n’auront pas l’effet de rassurer les enseignants. On craint que ceux-ci aient pour conséquence d’obliger l’identification précise de la part accordée aux connaissances et aux compétences dans la note, ce qui ne peut être déterminé ni à l’avance ni de la même façon pour toutes les matières. De plus, on anticipe que la section « Explicitation » soit utilisée comme des sous-critères d’évaluation.
De plus, nous avions demandé, dans notre avis sur le projet de règlement modifiant le régime pédagogique paru en juin, que les cadres d’évaluation rappellent qu’il revient au personnel enseignant de choisir les outils pour évaluer les apprentissages de leurs élèves. Pour nous, le respect de l’autonomie professionnelle du personnel enseignant signifie, entre autres, que ce dernier possède la marge de manœuvre nécessaire pour effectuer efficacement l’évaluation des apprentissages. On a pu constater que l’indication inscrite dans les cadres faisait plutôt référence à l’obligation de diversifier les outils d’évaluation. Au lieu de mettre l’accent sur l’autonomie professionnelle, le MELS a plutôt utilisé un ton qui renvoie à une image réductrice du travail des enseignantes et enseignants. Il est clair que le choix des outils pédagogiques fait suite à une réflexion et une recherche pour trouver des façons d’enseigner, d’expliquer, d’intéresser et de faire apprendre. Cela fait partie de son expertise professionnelle. Nous sommes indignés face au message transmis dans les cadres d’évaluation, qui apparaît comme une insulte au professionnalisme enseignant, d’autant plus qu’il contredit sans équivoque le discours public de valorisation porté par le Ministère ces temps-ci.
Si le bulletin unique vient mettre fin aux tentatives des commissions scolaires, de mettre en place des bulletins adaptés pour les élèves en difficulté d’apprentissage intégrés en classe ordinaire, il n’en demeure pas moins que la différenciation de l’évaluation reste un problème épineux dans plusieurs milieux. Nous vous rappelons que les élèves en difficulté d’apprentissage importante qu’on intègre en classe ordinaire devaient, selon nous, suivre le même programme, être soumis aux mêmes évaluations et recevoir le même bulletin que leur groupe d’appartenance tout en tenant compte des attentes inscrites au plan d’intervention. Or, on constate présentement qu’on demande aux enseignantes et enseignants d’évaluer des élèves à partir de documents correspondant à un degré inférieur, ce qui devient une évaluation adaptée au service de l’intégration des élèves HDAA sans services entraînant une baisse des exigences.
Nous tenons également à rappeler que, lors du processus de consultation, nous avons fait valoir que nous étions en désaccord avec, d’une part, l’obligation d’inscrire les résultats en notes sur le bulletin pour tous les élèves et, d’autre part, l’imposition de trois étapes pour l’ensemble des écoles ainsi que des dates d’échéance pour la remise des bulletins aux parents. Nous étions d’avis que ces décisions devaient revenir à chaque milieu pour leur accorder plus de souplesse et ainsi s’ajuster aux réalités de l’organisation scolaire.
La Fédération des syndicats de l’enseignement estime que le délai d’imposition du bulletin unique d’un an, que nous avons par ailleurs salué publiquement, permettra de corriger les irritants identifiés dans cette lettre. Malgré le message du sous-ministre adjoint reçu le 2 décembre 2010 qui ne laissait entrevoir aucune possibilité d’envisager d’autres modifications, la FSE croit que celles-ci faciliteraient l’implantation et assureraient davantage de respect pour les enseignantes et enseignants que nous représentons. Nous sommes disposés à collaborer avec le Ministère pour effectuer les redressements nécessaires afin d’atteindre les objectifs souhaités, de faire enfin de l’évaluation des apprentissages une tâche réaliste axée sur le professionnalisme du personnel enseignant.
Dans l’attente d’une réponse positive de votre part, nous vous prions d’agréer, Madame la Ministre, l’expression de nos sentiments distingués.
 
Manon Bernard
Présidente FSE
Josée Scalabrini
Vice-présidente à la vie pédagogique FSE
 
c. c. : M. Alain Veilleux, sous-ministre adjoint